PRESS : TRIBUTE TO THE FRENCH COMPOSER GEORGES BOEUF (1937-2020) - LE MONDE 05/08/2020


"Le compositeur Georges Bœuf est mort à son do­micile marseillais, le 25 août, à l’âge de 82 ans. Très tôt investi dans le domaine de l’électroacoustique, il n’a jamais délaissé le médium instrumental et a incarné une forme d’indépen­dance qui s’est avérée détermi­nante pour ses élèves, dont cer­tains occupent aujourd’hui le de­vant de la scène contemporaine.
Georges Bœuf naît le 21 novem­bre 1937, à Marseille, une ville à la­ quelle il demeurera attaché toute sa vie. Il étudie d’abord le contre­ point et la fugue avec Jean Ga­briel­ Marie (1907­-1970), au Con­servatoire national de région (CNR) de la métropole phocéenne, puis l’harmonie et l’orgue avec Marcel Prévot (1898­-1973) dans le même établissement. Sa forma­tion d’organiste sera plus tard ap­profondie au contact de Pierre Co­chereau (1924­-1984) et complétée par le perfectionnement du saxo­ phone, sous la houlette de Daniel Deffayet (1922­-2002).
Georges Bœuf commence à composer des pièces purement instrumentales, à l’instar d’une Sinfonietta pour orgue qui, en 1966, reçoit un prix décerné par la Société des auteurs, compo­siteurs et éditeurs de musique au cours de l’Académie internatio­nale d’été de Nice. Ses débuts dans le champ de l’électroacoustique datent de 1968, un an avant sa participation à la fondation du Groupe de musique expérimen­tale de Marseille (GMEM), pre­mier studio de création inauguré en région. Georges Bœuf en assu­rera la direction jusqu’en 1974.

Très productif pendant deux dé­cennies, le compositeur affiche une prédilection pour la musique mixte à l’instar du Départ pour la Lune (1972), pour orgue et bande magnétique, ou du Nocturne (1985), pour piano et échantillon­neur, mais il réalise également des pièces sans support instru­mental telles que Abyssi Sympho­nia (1980), hommage à l’océan, ou Les Filles du sommeil (1987), ins­piré de tableaux érotiques peints par Gustav Klimt.

En 1980, la musique du film Re­tour à Marseille marque le début d’une fructueuse collaboration (cinq opus) avec le cinéaste René Allio (1924­-1995), autre Mar­seillais de renom, qui s’achèvera, en 1988, avec le film Un médecin des Lumières. La même année, Georges Bœuf crée la première classe de composition du CNR de Marseille, alors dirigé par Pierre Barbizet (1922­-1990), avec le même objectif trinitaire – « inspi­ration, spéculation, médiation » – que celui qui conditionne l’écri­ture de ses œuvres. Celles­-ci, tou­jours très « senties », s’étendent d’un quatuor à cordes (1996) d’une quinzaine de minutes – le temps, selon le compositeur, « de lire un extrait de journal in­time » –, à un opéra en quinze scè­nes, Verlaine Paul (1996), créé à Nancy avec le baryton François Le Roux (son dédicataire) dans le rôle-­titre.

« Inculquer, d’abord, la liberté »

D’un catalogue avoisinant la cen­taine de numéros émergent aussi un concerto pour violoncelle, Où il est question d’un coucher de soleil (1989), et un mélodrame, L’Hom­me qui plantait des arbres (d’après le livre éponyme de Jean Giono), créé en 2014 au Festival de Chaillol (Hautes­-Alpes), dont le fondateur, Michaël Dian, est un ancien élève de Georges Bœuf. L’occasion d’in­verser les rôles entre celui qui soumet une partition et celui qui contribue à sa réalisation.

« Je veux leur inculquer, d’abord, la liberté », déclarait Georges Bœuf, en 2000, au quotidien Le Méridional pour résumer son ap­port aux étudiants. Cette orienta­tion fut décisive pour Régis Campo (né à Marseille en 1968), qui nous confie avoir ainsi « ap­pris à déjouer toute forme de dogmatisme esthétique ». Selon le compositeur aujourd’hui mem­bre de l’Académie des beaux-­arts, la musique « sensuelle et forte­ment méditerranéenne » de son mentor est « proche de la précision poétique d’un Pierre Boulez, des obsessions rythmiques d’un Igor Stravinsky ou des étrangetés har­moniques d’un György Ligeti ».

Si Régis Campo voyait en Geor­ges Bœuf son Yoda, Yann Robin (né en 1974) assure qu’il fut pour lui « ce que Virgile fut pour Dante : non pas un professeur mais un guide ». Sensible, dès leur pre­mière rencontre, à la bien­veillance de celui auquel il était venu montrer ses travaux d’autodidacte, Yann Robin se remémore l’exclamation de son futur maî­tre : « Mais tu es un compositeur, toi ! » Nombreux sont ceux qui, dans la classe de Georges Bœuf, ont pu ainsi se révéler. Quitte à opter pour la fonction de chef d’orchestre comme Raoul Lay (né en 1964), fondateur de l’Ensem­ble Télémaque."

Pierre Gervasoni
Le Monde du samedi 5 septembre 2020

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