đ°✨ "SA RĂĂCRITURE DU CONTE S’AVĂRE D’UNE REMARQUABLE JUSTESSE" FORUMOPERA.COM 10/11/2025
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Perle d’Ă©cume
Perdre sa voix, c’est perdre son identitĂ©. RĂ©gis Campo aurait pu centrer sa version de la Petite SirĂšne autour de l’injustice, de la trahison, de la quĂȘte mĂ©taphysique*. Il choisit de resserrer l’action autour d’une problĂ©matique ontologique que l’opĂ©ra de Toulon accueille aprĂšs une large tournĂ©e en rĂ©gion Paca.
Dans son compte-rendu de la PremiĂšre niçoise, en mars 2024, Julian Lembke soulignait combien, au fil de ses crĂ©ations, sous la diversitĂ© des esthĂ©tiques, le compositeur revenait toujours Ă un mĂȘme « malaise face au monde… un huis clos [rĂ©current] oĂč l’homme lutte avec (ou contre) ce qu’il est. ».
LaurĂ©at des Victoires de la Musique Classique 2025 pour Dancefloor With Pulsing, l’artiste marseillais commet ici Ă la fois livret et partition. c. Deux courtes scĂšnes contemporaines encadrent le rĂ©cit d’Hans Christian Andersen en une parfaite mise en abyme : une adolescente d’aujourd’hui, par le biais du rĂȘve, expĂ©rimente le risque d’un choix dĂ©lĂ©tĂšre. Il s’agit de suivre un potentiel prĂ©dateur, certes, mais surtout de s’exposer au danger de tout sacrifier, de s’oublier dans l’espoir d’une vie meilleure.Outre la modernisation du propos, l’actualisation partielle de l’action prĂ©sente Ă©galement l’avantage de teinter d’espoir une fable fort sombre. Aspirant Ă l’Ailleurs, se sentant incomprises, les deux jeunes filles s’apprĂȘtent Ă commettre l’irrĂ©parable au prix d’une mutilation irrĂ©versible, rĂ©elle ou symbolique. L’Ă©clairage du conte rĂȘvĂ© permet finalement Ă notre moderne Ondine d’arbitrer diffĂ©remment et d’Ă©chapper au pire. Vertu pĂ©dagogique du mythe, accentuĂ©e par l’omniprĂ©sence de l’eau, Ă©lĂ©ment idĂ©al pour dire l’accĂšs Ă l’inconscient.
BĂ©rĂ©nice Collet et Christophe Ouvrard transforment habilement la chambre de l’adolescente en monde sous-marin par des truchements variĂ©s : Les lampes sont autant de bulles d’air, l’armoire centrale se fait conque ; elle s’ouvre pour laisser passage aux figures d’autoritĂ©. Elle devient tableau animĂ© lorsqu’elle se pare de coraux en papiers dĂ©coupĂ©s et d’une maquette de bateau pour simuler un naufrage. Les vidĂ©os de Christophe Waksmann participent naturellement Ă l’effet aquatique tout comme la gestuelle ondulante adoptĂ©e par les interprĂštes fĂ©minines. Corsages blancs ajourĂ©s et longues jupes aux teintes irisĂ©es, les costumes de Christophe Ouvrard – sublimes – flattent les silhouettes Belle Epoque.
Avec la mĂȘme crĂ©ativitĂ© que dans le matĂ©riau visuel, tant dans le livret que la musique, RĂ©gis Campo exploite tous les possibles de la voix parlĂ©e jusqu’au chantĂ©, utilise avec crĂ©ativitĂ© l’instrumentarium Ă sa disposition. Cordes, flĂ»te, clarinette, percussion, harpe et synthĂ©tiseur convoquent autant le Vaisseau FantĂŽme que la pop musique, sans oublier « l’aquarium » du Carnaval des animaux.
L’aquatique transparaĂźt naturellement de maniĂšre inventive depuis les glissando, jusqu’au diaprĂ© des arpĂšges en passant par les thĂšmes rĂ©currents accompagnant les Ă©motions des personnages.
Le rythme gĂ©nĂ©ral du spectacle – français non surtitrĂ© – est d’une formidable fluiditĂ©. Sans peser jamais, chaque situation est parfaitement dessinĂ©e. VoilĂ qui s’avĂšre idĂ©al dans le cadre d’un spectacle jeune public, ce que prouve d’ailleurs la qualitĂ© d’Ă©coute remarquable des jeunes spectateurs.
Jane Latron Ă la tĂȘte de l’orchestre de l’OpĂ©ra de Toulon installe les atmosphĂšres en quelques coups de pinceaux avec de jolis contrastes, des couleurs variĂ©es aux incandescences gourmandes.
Comme dans la version de l’Ă©crivain danois, ici se mĂȘlent tragique et grotesque : la langue de la petite sirĂšne est si longue qu’il est bien difficile de la couper, la sorciĂšre est un crabe retors… Le personnage du prince est bien falot, assez vulgaire mĂȘme dans sa gloutonnerie. La petite sirĂšne devrait s’horrifier de le voir dĂ©vorer goulĂ»ment un plateau de fruit de mer, mais, asservie Ă sa passion, s’obstine dans son amour aveugle et non-rĂ©ciproque. Sebastian Monti porte fort bien le rĂŽle assez court qui lui est dĂ©volu, tout comme Marion Vergez-Pascal – timbre fruitĂ© et une belle prĂ©sence – en sĆur aĂźnĂ©e compatissante.
Marion LebĂšgue prend en charge deux rĂŽles clefs oĂč s’imposent pareillement son autoritĂ© vocale, ses graves larges et pleins, sa diction prĂ©cise. Elle s’amuse Ă nuancer ses couleurs entre une grand-mĂšre plus ronde et les accents grinçants de la sorciĂšre, machiavĂ©lique Ă souhait.
Enfin, Clara Barbier-Serrano campe une merveilleuse petite sirĂšne Ă l’Ă©mission naturelle, au timbre ductile du parlando jusqu’aux vocalises et sur l’ensemble de l’ambitus. ComĂ©dienne dĂ©licate et sensible, elle se rĂ©vĂšle bouleversante lorsqu’elle tente d’apprendre Ă marcher ou accepte de se dissoudre, simple Ă©cume sur la mer.
Vous pourrez encore applaudir ce trÚs beau spectacle à Charleroi en décembre puis à Aix-en-Provence au printemps prochain.
*dans le conte d'Andersen, la Petite SirĂšne aspire avant tout Ă une Ăąme immortelleTania Bracq, Forumopera.com 10/11/2025
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