Création en mode bilingue par Marguerite Haladjian - Opéra Magazine, janvier 2015 N°102








Quai Ouest, opéra de Régis Campo,
en version allemande à la Staatsoper de Nuremberg
Création en mode bilingue
La reprise en janvier prochain au Staatsoper de Nuremberg de Quai Ouest, l’ouvrage de Régis Campo, donné en création française à l’Opéra de Rhin en septembre dernier, est doublement passionnante. Outre qu’elle permet à un plus large public d’Outre-Rhin de découvrir l’œuvre d’un compositeur français parmi les plus doués de sa génération, elle est l’occasion d’une véritable recréation par la possibilité qui a été offerte à un musicien de se confronter à un projet original d’invention musicale envisagée d’emblée en vue de deux livrets, l’un en français, l’autre en allemand. Régis Campo a cherché à extraire l’essence musicale de ces deux systèmes linguistiques, démarche qui a inspiré et nourri la vitalité de son propre langage. Pour Peter Thieler, directeur curieux et dynamique de cette belle maison qui entretient des liens forts et réguliers avec les théâtres en France dont elle accueille certaines productions, il s’agit bien cette fois d’une aventure franco-allemande entreprise dans un esprit européen, une première dans le domaine du répertoire de la musique contemporaine.
Cette version allemande, avec la participation renouvelée du contre-ténor Fabrice di Falco, a conduit Régis Campo à poursuivre l’expérience strasbourgeoise en repensant sa technique compositionnelle dans le cadre de cette constellation féconde. En opérant un véritable transfert du registre du français à celui de l’allemand, le musicien a accordé son écriture à cette langue afin d’en épouser le rythme, la tension et les inflexions, d’en restituer les intonations les plus subtiles, de donner au pouvoir des mots leur souffle et leurs aspérités par des correspondances sonores
En rompant avec l’intonation trop familière du français et une tradition qui, selon ses termes, le freinait, Régis Campo a exploité, à partir du livret adaptée par Carolyn Sittig, les ressources expressives de la prosodie allemande qui a modelé son oeuvre tant sur le plan de la ligne vocale aux accents plus âpres et ironiques, à la manière expressionniste du cabaret berlinois, que sur celui des couleurs instrumentales et des timbres incisifs d’une orchestration dissonante aux échos railleurs.
Une circulation enrichissante entre les deux versions a amené le compositeur à revoir l’architecture de son opéra en allemand et à revisiter, en retour, la partition française. « J’ai terminé Quai Ouest entre les deux langues » reconnaît Régis Campo.
Marguerite Haladjian
Opéra Magazine, janvier 2015, N°102







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