"Rencontres Régis Campo" Propos recueillis par Marguerite Haladjian - Opéra Magazine n°98 - septembre 2014




Rencontres
Régis Campo 
Création à l'Opéra Nationale du Rhin
Le 27 septembre, à Strasbourg, le compositeur français propose son deuxième opéra, Quai Ouest, d'après la pièce de Bernard-Marie Koltès, en coproduction avec le Staatstheater de Nuremberg

Après les Quatre Jumelles "opéra bouffe" d'après Copi, créé à Nanterre, en 2009, vous donnez, avec Quai Ouest, votre deuxième ouvrage lyrique. Que représente pour vous la composition d'un opéra ?

J'ai attendu d'avoir fait mes armes et d'acquérir beaucoup de thermiques dans mon propre style, pour aborder de nouveau ce genre. Une oeuvre pour la scène est à la fois l'aboutissement et la synthèse de l'expérience musicale, et, dans le me^me temps, son éclatement dans une forme originale. Il faut avoir un instinct théâtral sûr et aimer raconter une histoire. Je cherchais un livret qui me stimule, je voulais me confronter à l'écriture d'un opéra d'envergure, explorer le domaine de l'orchestre, et surtout du chant.

C'est la premi§re fois que l'une des pièces majeures du dramaturge Bernard-Marie Koltès est adaptée à l'opéra. Comment votre intérêt s'est-il porté sur Quai Ouest, une oeuvre qui offre un reflet de nos peurs et de nos manques?

La proposition du sujet de Quai Ouest m'a immédiatement interpellé. La force de cette pièce m'a offert la possibilité de lui donner une texture sonore dans un temps musical qui s'écoule selon le mouvement continu du théâtre. L'action a pour cadre le quartier à l'abandon d'une ville portuaire, séparé du centre-ville par un fleuve. Dans un hangar désaffecté de l'ancien port se jouent la vie et la mort de sept personnages, dont le destin est précipité par l'intrusion de Maurice Koch, qui va dans cet endroit hors du monde pour mettre fin à ses jours. Cette tragédie, non dépourvue d'ironie et d'humour, est proche de ma sensibilité.

Comment avez-vous travaillé à partir du texte très dense de Koltès, pour concevoir votre ouvrage en vue de la scène lyrique ?

Avec Kristian Frédéric - qui signe également la mise en scène - et Florence Doublet, les auteurs du livret, nous avons respecté l'écriture de Koltès, aucun mot étranger à la pièce n'a été rajouté. Tout en conservant sa structure, nous avons été contraints de faire une découpe chronologique selon les exigences qu'imposent les codes de l'opéra. J'ai souhaité être fidèle a la simplicité du langage koltèsien, a sa musicalité singulière, à son immense poésie.

Comment avez-vous traduit musicalement l'univers tragique de Quai Ouest, qui oscille en permanence
entre ténèbres et lumière ? Quelles couleurs vocales et instrumentales avez-vous retenues ?

Cette tragédie a une dimension sacrée, elle ouvre sur une vision vers l'au-delà. J'ai voulu recréer, en musique, l'équivalent de ce monde rituel de la mort. J'ai essayé d'explorer tout le potentiel que suggèrent les multiples registres de la pièce. Mes options musicales sont en étroite relation avec chaque situation pour renforcer l'unité dramaturgie de l'opéra, en évitant toute emphase, tout sentimentalisme pour aller à l'expressivité la plus épurée, afin que ma musique soit liée intimement au souffle du texte. 
J'ai composé un opéra en trente séquences, qui restituent le caractère cinématographique et la vitesse du temps narratif de l'action, ainsi que celui, plus statique, des monologues. J'ai écrit des récitatifs ou des ensemble pour les sept chanteurs, qui racontent chacun leur vie selon l'ironie tragique de Koltès, dont je me sens proche. J'ai retenu trois voix féminines - une colorature, une soprano, et un mezzo -, et quatre voix masculines : un contre-ténor, un jeune ténor, un baryton et une basse. Dans la fosse, une grand orchestre privilégie un certain scintillement sonore, avec un pupitre important de percussions, deux guitare électriques et deux synthétiseurs. l'orchestre soutient la voix et fusionne avec elle, mais sans jamais la couvrir, pour préserver la beauté simple du texte. L'opéra s'achène sur une chant lent et dépouillé, porté par le choeur recueilli.

Propos recueillis par Marguerite Haladjian

Opéra Magazine n°98 - septembre 2014



Commentaires