✨đ "RĂGIS CAMPO JOUĂ DANS LE MONDE ENTIER, MAIS QUI N'A PAS ĂTĂ SĂLECTIONNĂ PAR UN POUVOIR POLITIQUE" 01/04/025 WWW.MARIANNE.NET
"Marianne : Arrive-t-on, aujourd'hui Ă la fin d'un cycle ?
culture, et notamment une musique populaire, a trouvĂ© sa dignitĂ© et elle est maintenant soutenue par l'Ătat. Dans la programmation des fĂȘtes de la musique Ă l'ĂlysĂ©e, on ne trouve plus dĂ©sormais un seul musicien savant. Il n'y a que les musiques du monde, dites « actuelles », les musiciens savants n'exercent plus d'influence utile pour le pouvoir, donc celui-ci s'en dĂ©sintĂ©resse. Ce qui laisse les musiciens de cette esthĂ©tique face Ă leur public, souvent privilĂ©giĂ© et assez rĂ©duit. Mais la musique savante reste un art mondialisĂ©. Les musiciens voyagent beaucoup et s'exposent Ă un regard international ; une politique nationaliste de la musique est devenue impensable. C'est donc la fin d'un cycle, mais ce n'est pas la fin de l'histoire de la musique française. Elle compte encore d'excellents compositeurs comme RĂ©gis Campo qui est jouĂ© dans le monde entier, mais qui n'a pas Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ© par un pouvoir politique qui n'est plus Ă©clairĂ© en la matiĂšre."
Marianne, 1er Avril 2025 - Propos recueillis par Isabelle Vogtensperger
Interview complet:
Maryvonne de Saint-Pulgent : "En France, la place de la musique dans la sociĂ©tĂ© a longtemps Ă©tĂ© une affaire d'Ătat"
Maryvonne de Saint-Pulgent, prĂ©sidente de section honoraire au Conseil d'Ătat, ancienne directrice du patrimoine au
ministĂšre de la Culture, signe un essai Ă©rudit et brillant ; « Les musiciens et le pouvoir en France » (Gallimard), explorant la
relation complexe entre la musique, qui fut tour à tour une arme politique, un vecteur de transmission des idées et un
instrument de rayonnement international.
Maryvonne de Saint-Pulgent signe Les musiciens et le pouvoir en France. De Lully à Boulez (Gallimard), une véritable
somme sur les liens qui ont façonné la relation entre la musique et le pouvoir politique, de Lully à Boulez en passant par
Wagner. Bien que l'on tende parfois à sous-estimer la place de la musique dans notre héritage politique, social et intellectuel,
elle en révÚle pourtant la portée essentielle. Marianne est allé à sa rencontre.
ministĂšre de la Culture, signe un essai Ă©rudit et brillant ; « Les musiciens et le pouvoir en France » (Gallimard), explorant la
relation complexe entre la musique, qui fut tour à tour une arme politique, un vecteur de transmission des idées et un
instrument de rayonnement international.
Maryvonne de Saint-Pulgent signe Les musiciens et le pouvoir en France. De Lully à Boulez (Gallimard), une véritable
somme sur les liens qui ont façonné la relation entre la musique et le pouvoir politique, de Lully à Boulez en passant par
Wagner. Bien que l'on tende parfois à sous-estimer la place de la musique dans notre héritage politique, social et intellectuel,
elle en révÚle pourtant la portée essentielle. Marianne est allé à sa rencontre.
Marianne : Pourquoi ce lien spécifique entre les musiciens et le pouvoir en France, puisque vous montrez que cela n'a
pas été le cas dans d'autres pays ?
Maryvonne de Saint-Pulgent : Il y a des Ă©lĂ©ments propres Ă la France ; c'est un vieil Ătat trĂšs centralisĂ©, avec une capitale
politique, économique et culturelle, hypertrophiée. Vous avez aussi une préférence des Français pour les pouvoirs exécutifs
forts et de type monarchique, c'est-Ă -dire, avec un seul pouvoir qui domine tous les autres. Par ailleurs, dans l'histoire
culturelle de la France, la musique joue un rÎle tout à fait déterminant, qu'il soit social ou intellectuel on voit à quel point
cela a pu ĂȘtre un sujet de dĂ©bats, souvent entre gens qui ne connaissent rien Ă la musique.
C'est Ă©galement un pays littĂ©raire, oĂč les combats musicaux sont intellectuels, philosophiques et de ce point de vue, le XVIIe et le XX e se ressemblent. La place de la musique dans la sociĂ©tĂ© est totalement sous-estimĂ©e dans la mĂ©moire française, alors qu'elle est tout Ă fait capitale. On le voit dans les diffĂ©rentes Ă©tapes que je dĂ©cris, y compris au dĂ©but du XX e .
L'investissement de la société tout entiÚre, dans la musique, est tout à fait étonnant. Vous avez tous les ingrédients pour que
cela devienne une affaire d'Ătat. C'est d'Alembert qui dit « on peut se moquer de tout en France sauf de l'opĂ©ra ».
Est-ce une politique continue, voulue, pendant cette vaste période de Lully à Boulez, notamment pour favoriser le
rayonnement musical de la France à l'étranger, ou est-ce lié à la personnalité de certains dirigeants ?
Beaucoup s'y sont intĂ©ressĂ©s. Le lien de NapolĂ©on avec la musique est, par exemple, extrĂȘmement fort. Il a pris une sĂ©rie de
décisions capitales pour les musiciens ; leur intégration dans la classe des beaux-arts à l'Institut et dans l'Académie de France
à Rome, malgré les réticences des peintres. Napoléon va utiliser la musique au service de sa politique, comme l'a fait Louis
XIV mais comme le font aussi les rĂ©volutionnaires. On a oubliĂ© le rĂŽle central de Gossec dans l'organisation des fĂȘtes
révolutionnaires. C'est pourtant la musique qui a permis d'enrégimenter le peuple, de véhiculer le message politique de la
Révolution.
On retrouve cela dans le Front populaire, avec l'idĂ©e qu'il faut faire une musique pour le peuple, organiser des fĂȘtes musicales
etc. Il y a donc une continuitĂ© assez grande, avec des pĂ©riodes oĂč le pouvoir musical n'est pas directement exercĂ© par le
titulaire du pouvoir suprĂȘme, mais par des organismes Ă qui il le dĂ©lĂšgue, notamment auprĂšs du systĂšme acadĂ©mique autre
crĂ©ation de NapolĂ©on. SystĂšme repris tel quel par la monarchie bourbonienne restaurĂ©e et conservĂ© jusqu'en 1968, oĂč
Malraux y met fin en rompant le lien entre l'Académie de France à Rome et l'Académie des Beaux-Arts. Lorsque le systÚme
de pouvoir monarchique est affaibli, le relais est pris par d'autres centres de pouvoir qui sont, la plupart du temps, les salons.
Dans le Paris de la deuxiÚme moitié du XVIII e siÚcle, le pouvoir culturel se transporte de Versailles à Paris et des institutions
royales vers les salons des fermiers généraux. La noblesse libérale est favorable à l'évolution des moeurs et du systÚme
politique et les musiciens s'embarquent dans cette nouvelle tendance. C'est à ce moment que se mettent en place les sociétés
de concert qui vont ensuite jouer un rĂŽle capital dans la profession des musiciens. Vous retrouvez cela Ă la Belle Ăpoque puis
durant les AnnĂ©es Folles, avant le retour en majestĂ© de l'Ătat dans les annĂ©es 60, du fait de la crise Ă©conomique qui va ruiner
les mécÚnes et assécher le marché musical. à chaque fois, il faut que l'équilibre du systÚme entre le pouvoir et les musiciens
se fasse, d'une façon ou d'une autre : soit du cÎté du marché, soit du cÎté subventionné.
Lully est le premier Ă avoir compris que la musique pouvait constituer un instrument politique...
Lully arrive trÚs jeune dans la cour de Mademoiselle, cousine germaine du roi, qui est la femme la plus riche de l'époque.
C'est Louis XIV qui, en prenant le pouvoir personnel décide, en vrai petit-fils Médicis, de mettre la politique artistique au
service de son pouvoir et de sa politique. De ce point de vue, il est à la fois un héritier des Médicis, et un héritier de François
1 er , qui fut le premier à avoir utilisé l'art au service d'une politique de puissance de la France. Or, François 1 er n'a pas
mobilisé la musique, mais les peintres, les littérateurs, les humanistes les intellectuels de façon générale. C'est sous Louis
XIV que les musiciens sont enrÎlés dans une politique de glorification du monarque et de sa politique.
L'intelligence de Lully va ĂȘtre de comprendre quel est le dessein du roi, qui est de ravir le sceptre de la premiĂšre puissance
musicale Ă l'Italie au profit de la France. Et donc de mener une politique nationaliste de la musique. Louis XIV pense que
pour faire piÚce à l'opéra italien qui rÚgne sur l'Europe, il faut magnifier la danse, art français par excellence. Il crée donc
l'Académie Royale de danse, qui va rapidement devenir une académie de danse et de musique car les Français aspirent à un
genre théùtral qui marie la danse et la musique. C'est la création de la tragédie lyrique, qui deviendra l'opéra français.
AprÚs la grande querelle pluriséculaire sur la question de la suprématie de la musique italienne sur la musique
française, commence une réaction culturelle de la France contre la musique allemande, avec la question wagnérienne
qui va se déployer de 1870 à 1914...
La question allemande s'inscrit dans l'interprétation intellectuelle de la défaite de 1870, analysée comme une défaite culturelle
de la France. Saint-Saëns crée alors la Société nationale de musique, avec le projet de reconstruire la puissance musicale
française sur les genres « sĂ©rieux » oĂč excelle la musique allemande, la symphonie, la musique de chambre, et de mettre fin
au rÚgne exclusif de l'opéra, un genre considéré comme trop soumis aux influences étrangÚres.
La SDN proscrit les oeuvres allemandes de ses programmes, par réaction contre la Prusse dominatrice, et la premiÚre cible est
Wagner, coupable d'avoir publié une satire de la France vaincue qui a indigné l'opinion française et jusqu'aux wagnériens,
dont fait partie Saint-Saëns.
Jusque-là en effet, la musique allemande était trÚs présente à Paris : Haydn y triomphe dÚs la fin du XVIII e siÚcle, puis
Mozart qui est trÚs admiré à partir du début du XIXe siÚcle et enfin Beethoven, le plus joué dans les sociétés de concert
parisiennes. L'attitude envers Wagner oscille, selon la température des relations politiques entre la France et l'Allemagne. Le
principal porte-parole de la musique française contre le wagnérisme sera Debussy.
Le soutien financier de l'Ătat ne contribue-t-il pas, paradoxalement, au dĂ©clin du gĂ©nie musical, lequel a Ă©tĂ© dans
l'histoire, le fait d'individus isolĂ©s ne devant compter que sur leur gĂ©nie propre, rarement reconnu par l'Ătat ?
C'est une question difficile car le soutien de l'Ătat a aussi façonnĂ© le gĂ©nie musical. Il n'y aurait pas eu d'opĂ©ra en France sans
Louis XIV. C'est par une volonté politique que ce genre s'est affirmé. Il faut néanmoins que le souverain soit éclairé, sinon les
choix ne sont pas heureux. C'est toute la diffĂ©rence entre Louis XIV et certains chefs d'Ătat...
Comment Boulez est-il parvenu à obtenir les faveurs de tant de présidents ; de Pompidou à Sarkozy, en passant par
Mitterrand et Chirac ?
Boulez a été porté par le mouvement moderne dont est issu son grand soutien intellectuel, Michel Foucault, comme l'a montré
Jean-Paul Aron. Unique référence musicale de ce milieu, il prÎne un langage formaliste tout à fait en phase avec l'esthétique
moderniste, y compris dans son refus de prendre en considération le point de vue du grand public. Vous retrouvez cela dans
d'autres expressions modernistes comme le nouveau roman, qui comme le sérialisme tend à récuser complÚtement le passé
pour construire sur des bases tout Ă fait nouvelles et radicales.
C'est aussi une façon de critiquer la société bourgeoise, le régime, ses idées politiques. Boulez a bénéficié de l'appui des
revues, des centres de réflexion, du systÚme éditorial qui soutenaient ce mouvement intellectuel. Il y était en situation de
monopole musical, ce qui va lui valoir ses premiers ennuis de la part d'autres musiciens contemporains. On a fait croire que
Boulez représentait une avant-garde musicale, jusque-là absente en France. En fait le dodécaphonisme était connu depuis les
années 30 et la musique expérimentale était pratiquée au sein de la radio publique, dans le studio de musique concrÚte de
Pierre Schaeffer notamment
Arrive-t-on, aujourd'hui Ă la fin d'un cycle ?
J'en suis convaincue, car la grande espérance de démocratisation de la musique chÚre à Malraux ne s'est pas réalisée. Une
culture, et notamment une musique populaire, a trouvĂ© sa dignitĂ© et elle est maintenant soutenue par l'Ătat. Dans la
programmation des fĂȘtes de la musique Ă l'ĂlysĂ©e, on ne trouve plus dĂ©sormais un seul musicien savant. Il n'y a que les
musiques du monde, dites « actuelles », les musiciens savants n'exercent plus d'influence utile pour le pouvoir, donc celui-ci
s'en désintéresse.
Ce qui laisse les musiciens de cette esthétique face à leur public, souvent privilégié et assez réduit. Mais la musique savante
reste un art mondialisé. Les musiciens voyagent beaucoup et s'exposent à un regard international ; une politique nationaliste
de la musique est devenue impensable. C'est donc la fin d'un cycle, mais ce n'est pas la fin de l'histoire de la musique
française. Elle compte encore d'excellents compositeurs comme Régis Campo qui est joué dans le monde entier, mais qui n'a
pas été sélectionné par un pouvoir politique qui n'est plus éclairé en la matiÚre.
Alors Ă©videmment, je vous dĂ©cris la fin d'un cycle et en mĂȘme temps, la ministre actuelle de la culture a dĂ©cidĂ© de faire du
centenaire de Boulez un centenaire officiel cĂ©lĂ©brĂ© et pris en charge par l'Ătat. C'est quand mĂȘme une fin en apothĂ©ose ! Or
2025 est aussi le 150e anniversaire de Ravel. S'il fallait choisir entre les deux, Ă l'aune de leur influence musicale, Boulez
était-il le bon choix ? ...
Les musiciens et le pouvoir en France. De Lully Ă Boulez , de Maryvonne de Saint-Pulgent, Gallimard, 544 p., 35 €
"D'autres compositeurs s'inspirent d'esthĂ©tiques picturales et chorĂ©graphiques comme le pop art, le street art, le graff et le hip hop, pour retrouver le sens de la couleur et du rythme, dimensions essentielles de la musique quelque peu perdues de vue par la rĂ©volution atonale. C'est notamment le choix fait par RĂ©gis Campo (nĂ© en 1968), dont le catalogue comprend un Pop-Art (2002), un Street-Art (2015-2017) et mĂȘme un Dancefloor With Pulsing (2018), dont les admirations s'Ă©cartĂšlent entre Henri Dutilleux et Steve Reich et que LibĂ©ration a qualifiĂ© affectueusement de "bad boy du contemporain", ce qui ne l'a pas empĂȘchĂ© d'ĂȘtre Ă©lu par l'AcadĂ©mie des beaux-arts Ă un fauteuil occupĂ© avant lui par Olivier Messiaen."
Maryvonne de Saint Pulgent, Les musiciens et le pouvoir en France - De Lully Ă Boulez - Gallimard 2025, page 406-407




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