"À FOND DE CALE" PAR DAVID VERDIER - ALTAMUSICA.COM




À fond de cale
Quai Ouest est une pièce de Bernard-Marie Koltès écrite en 1985 et montée l'année suivante, successivement par Stephan Stroux à Amsterdam et Patrice Chéreau au théâtre Nanterre-Amandiers. Le titre renvoie à un no man's land portuaire inspiré des vieux docks minables de New-York, lieu de rencontre et de perdition pour des personnages qui veulent à tout prix s’en sortir, quitte à réduire les relations à un troc sordide, sur le mode du donnant-donnant. 
On échange sa sœur contre les clés d’une voiture et il est facile d'y trouver une fin rapide, contre des boutons de manchette et un briquet Dupont. L'ambitieux Charles croise le destin en déchéance de Maurice Koch, un homme riche et suicidaire ayant faussé compagnie à sa secrétaire, Monique Pons, en se jetant dans le fleuve. Ce sauvetage tragi-comique est le déclencheur d'une série de saynètes à la fois glauques et burlesques dont les trajectoires se briseront par la mort tragique des deux protagonistes initiaux. 
La complexité redoutable du schéma narratif a contraint le metteur en scène Kristian Frédric et Florence Doublet à élaguer un certain nombre de séquences pour resserrer l'action autour de personnages bien délimités, avec la mise en valeur de l'appréhension de l'autre, des autres et de soi. Ce n'est qu'après avoir été modifié que le livret a été proposé à Régis Campo pour qu'il s'attaque à l'écriture de la partition. 
Le lieu de l'action, ce quai ouest, est à la fois décor et personnage principal. Une symbolique ambiguë mêle l'idée d'un point de départ et d'un point d'accostage – idée que l'on retrouve déclinée chez les personnages qui hantent le lieu, victimes et prédateurs. Tout le monde cherche quelque chose différent, à l'exclusion d’Abad – ce personnage muet et mystérieux qui joue le rôle du psychopompe antique et mettra à mort Charles et Maurice. 
La musique à la fois prolixe et plastique puise dans l'imagerie sonore pour représenter ce qui est en train de se nouer sur scène. Le recours à une amplification discrète permet de moduler le volume dynamique de la fosse, avec comme fil rouge une volonté de souligner une pulsation rythmique implacable. 
Deux synthétiseurs et deux guitares électriques apportent une couleur et une lisibilité à la diction des artistes dont le phrasé musical s'inspire très largement des dialogues de cinéma. Rarement on aura entendu un livret aussi cru et trivial dans la bouche de chanteurs plus accoutumés aux rôles de répertoire qu'à la musique contemporaine. 
Campo a imaginé une partition très architecturée, ménageant échanges ultra rapides, mélismes alanguis et chorals à plusieurs voix. L'exigence de l'écriture segmente très clairement la caractérisation de chaque personnage, depuis les aigus très tendus de Mireille Delunsch (Monique Pons), les hybridations baryton-voix de tête de Fabrice di Falco (Fak) ou la cruauté délirante de la victime devenu criminel (Christophe Fel dans le rôle de Rodolphe). Le jeune Julien Behr campe de belle manière un Charles déchiré entre l'envie de fuir et la soumission envers un père monstrueux. 
On notera également la scène où Claire (Hendrickje van Kerckhove) sombre dans la folie et au moment de mourir, se met à parler la langue de ses ancêtres indiens. En parallèle avec la descente aux enfers de Maurice (Paul Gay, excellent dans le sarcasme et l'autodérision), la dépravation programmée des figures féminines tranche avec la pureté de la voix de colorature de Marie-Ange Todorovitch (Cécile). 
Quai Ouest reprend en les transformant des schémas musicaux relativement traditionnels, ce qui est sans doute la meilleure des façons d'affronter au corps à corps la densité théâtrale du livret de Koltès, rétive a priori à toute tentative de mise en musique.
David Verdier
http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=5521&DossierRef=5071

Malgré un livret dense et contraignant, la transposition musicale, par le surprenant Régis Campo, de la pièce Quai ouest de Bernard-Marie Koltès, montée peu après sa création par Chéreau, se joue des écueils et des clichés pour parvenir à bon port, dans une mise en scène, fait à souligner, due à l’un des colibrettistes de l’ouvrage.




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