"Office des morts à l’Opéra du Rhin, Quai Ouest de Régis Campo a été très bien accueilli par le public strasbourgeois" par Omer Corlaix - omercorlaix-fr.over-blog.com
Office des morts à l’Opéra du Rhin, Quai Ouest de Régis Campo a été très bien accueilli par le public strasbourgeois.
"Si
vous attendez une réponse à la vie, Quai Ouest n’est pas pour
vous. Maurice Koch va avec sa secrétaire Monique Pons dans un lieu
improbable à la lisière de la ville « au bord d’un fleuve, là
où on prend le ferry. ». Le hangar est occupé par une tribu
étrange. Il y a Charles, l’homme des « basses œuvres », un
trafiquant de mort, et Abad son partenaire, un afro-américain,
l’homme des « hautes œuvres », discret, efface et muet. Le
premier à une sœur Claire convoitée par une petite frappe, Fak.
Ils ont une mère, une indienne, Cécile et un père, Rodolf peu
intéressé par la filiation. Maurice Kock vient acheter sa mort. Il
se défait de toutes ses affaires que la petite famille va se
partager. Charles semble être le caïd, l’instance régulatrice de
ce petit monde. Ils souhaiteraient tous partir mais l’aimant qui
les retient ensemble plus fort. On tourne en rond, mais la mort rode.
Maurice est tué par Abad. Celui-ci à la fin tue Charles qui voulait
partir, rompre avec la mort. La dramaturgie est efficace, limpide,
c’est un « office des ténèbres » dans un lieu de fin de vie.
Quai Ouest était un lieu de drague des homosexuels new-yorkais où
probablement Bernard-Marie
Koltès a
contracté le virus du Sida. La musique se fait ample au début, avec
des gammes descendantes et des ostinatos colorés figurant un ciel
embrasé juste avant la nuit tombante sur Hudson River.
Progressivement elle devient nocturne quasi silencieuse, parfois même
murmurante. Elle est à la limite de l’effacement, comme la petite
musique qui accompagne le film, Mulholland Drive, de David Lynch. On
comprend toutes les paroles des chanteurs, la prosodie est au service
de la dramaturgie et de la musique. La dimension « théâtre de
boulevard » que souhaitait voir dans son théâtre, Bernard-Marie
Koltès, et dont se méfiait Patrice Chéreau, trouve en Régis
Campo son
traducteur efficace. Ce « mauvais goût », Régis Campo va
l’introduire habilement dans sa musique en détournant les
vocalités de la comédie musicale à la française ou américaine.
Il flirte ainsi à la limite de celui-ci dans les airs de Fak mais
comme ils sont si finement orchestrés, le contreténor Fabrice di
Falco en déjoue les pièges. La guitare électrique est son double,
elle s’inscrit exactement dans l’orchestration, elle ne donne
jamais l’impression d’être une pièce rapportée. Chaque
personnage est bien caractérisé. Maurice interprété par le
baryton-basse, Paul
Gay
est d’une crédibilité époustouflante. Mireille
Delunsh,
se lâche, elle est Monique Pons, elle voudrait bien que cette «
connerie » s’arrête avant de mal tourner ! « Adieu, Moricaud »,
le grand air final du ténor Julien
Behr,
l’interprète de Charles, n’aurait pas déplu dans sa progression
dramatique au Chevalier Glück. De même, l’étrange et envoûtant
« cante jondo » de Cécile, interprétée par la mezzo-soprano
Marie-Ange
Todorovitch
est d’une intensité bouleversante. Il vient juste avant le grand
septuor opératique où tous les personnages du drame se retrouvent,
un moment ensemble avant le dénouement. Il y a également, le
magnifique trio des femmes, fausse citation du Chevalier à la Rose
de Richard Strauss.
L’opéra
reste un genre bizarre, il les phagocyte tous, il se pourrait bien
qu’il est le mauvais goût par excellence. La mise en scène de
Kristian Frédric
est
efficace, elle est au service des acteurs et des voix. La chimère
sonore, entre corne de brume et sirène de bateau, vient ponctuer
habilement les changements de scène, comme une horloge fatidique,
que le scénographe Bruno
de Lavenère et
Nicolas Descoteaux
aux
lumières rythment intelligemment de scène en scène. L'Orchestre
symphonique de Mulhouse
et le Chœur de
l'Opéra national du Rhin
sous la direction de Marcus
Bosch ont
maîtrisé de bout en bout ce « nocturne orchestral ».
L’action
de grâce que chante le chœur final, « In God we trust » évoque
certes la devise frappée sur le dollar mais il est immédiatement
contredit par un « do we ». Est-ce une fin heureuse, un lieto fine,
comme dirait les spécialistes du belcanto ou tout un simple pied-nez
au monde."
Omer
Corlaix
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