"CRÉATION DE QUAI OUEST DE RÉGIS CAMPO À STRASBOURG" PAR LAURENT VILAREM - LA LETTRE DU MUSICIEN N°454 OCTOBRE 2014 — DEUXIÈME QUINZAINE


Création de Quai Ouest de Régis Campo à Strasbourg
Surprise à l’Opéra du Rhin : un opéra contemporain qui chante ! 

Très attendue, la création de Quai Ouest de Régis Campo étonne par la richesse de sa musique, l’efficacité de son livret et la qualité de sa distribution. Une superbe création dont on n’a pas fini d’entendre parler.
La disparition de Patrice Chéreau a vraisemblablement ouvert une brèche dans la mise en scène des pièces de Bernard-Marie Koltès. Pour cet opéra d’après Quai Ouest (la pièce avait été créée à Nanterre par Chéreau en 1986), Régis Campo prend le contrepied d’une adaptation littéraire et littérale pour se soucier avant tout d’une reconstitution quasi cinématographique de l’atmosphère de la pièce.Le spectacle présenté à l’Opéra du Rhin, dans le cadre du festival Musica, évoque ainsi irrésistiblement les films de cette époque, notamment La Lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix, avec les superbes décors tournants de Bruno de Lavenère et les lumières sombres ou matinales de Nicolas Descoteaux pour suggérer ce quai au bout du monde. Mais là où le spectacle aurait pu n’être qu’atmosphère, le compositeur français l’enrichit de vie et de surprises, avec une formidable partie orchestrale qui combine différentes influences musicales (John Adams, la musique spectrale et même un invraisemblable hommage à Ennio Morricone !) au cours de trente séquences qui s’enchainent à la manière d’un film policier.Unifiés par les sirènes vrombissantes du port, les numéros de chanteurs s’incarnent, savoureux ou émouvants, bien soutenus par un très bon Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par Marcus Bosch. On citera notamment Hendrickje Van Kerckhove en femme-enfant sacrifiée, Marie-Ange Todorovich en vieille mère agonisante ou Julien Behr en fils répudié. Et c’est dans cette matière burlesque de faire coexister toutes sortes de musiques instrumentales et de typologies vocales que Quai Ouest impressionne.Puis, soudain, l’opéra bascule vers une dernière partie hypnotique et audacieuse. Aux trois-quarts de l’ouvrage, l’action s’arrête en effet : les femmes de la pièce entament un long trio vocal, faisant basculer l’opéra vers le chant pur en une multitude de monologues alternés. On reconnaît ici encore l’influence du cinéma (cinéphile, Campo évoque également dans le programme les films de David Lynch qui opèrent souvent un décrochage narratif dans leur deuxième partie), mais également une subtile subversion de l’opéra contemporain, peu habitué à faire chanter autant ses personnages.On regrettera seulement la direction d’acteurs plus appuyée qu’inspirée du metteur en scène Kristian Frédric. Car, un seul point suffirait à se convaincre de la réussite de l’œuvre: dès les lumières de la représentation éteintes, on brûle déjà de réentendre certains airs de la soirée... (27 septembre)Laurent Vilarem

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