« QUAI OUEST », AU BON SOUVENIR DE BERNARD-MARIE KOLTÈS PAR ANNE SUPLY - L'ALSACE DU 9 OCTOBRE 2014

L'Alsace


« Quai Ouest », au bon souvenir de Bernard-Marie Koltès

L’Opéra national du Rhin a ouvert sa saison par une magnifique création mondiale, « Quai Ouest », de Régis Campo, sur un livret inspiré de Koltès. Contemporaine, la musique de Campo l’est assurément. Mélodique, fascinante et facile d’accès, aussi.
La création mondiale de Régis Campo, mise en scène par Kristian Frédric, ouvre de façon magistrale la nouvelle saison de l’Opéra national du Rhin.


Des façades de hangars de cité faites de sombres briques et métaux mêlés, qui se déplacent avec un jeu de lumières particulièrement au point, avec ces lancinantes cornes de brume qui ponctuent tout l’opéra : dès l’ouverture, le public sait où il se trouve. Dans un « no man’s land » étrange et sombre, dans un port où gravitent de drôles de personnages. On y est, destination l’univers de Bernard Marie Koltès, considéré par le metteur en scène Kristian Frédric comme « le plus grand auteur français du XXe siècle » ( L’Alsace du 25 septembre).
Pour son premier opéra, et après en avoir écrit le livret avec Florence Doublet, Kristian Frédric met en scène cette histoire singulière, Quai Ouest, tiré d’une pièce de Koltès. Sur ce quai arrivent Maurice Koch et sa secrétaire Monique : lui veut mourir, elle rentrer chez elle. Le baryton basse Paul Gay est un sombre Maurice Koch. Dans le rôle de Monique, Mireille Delunsch met toute l’étendue de son talent sur la scène. Voix, jeu, présence et aura : tout y est, même la petite touche d’humour quand elle grossit le trait de son personnage, bourgeoise un peu paumée qui s’extasie à répéter le mot « connerie » en boucle.
Sur ce quai, Maurice et Monique croiseront des personnages hauts en couleur, ceux que l’on croise dans des films épiques et inoubliables. La distribution est d’égal niveau. Le contre-ténor Fabrice di Falco est un sombre Fak, terrifiant parfois, qui était, pour Koltès, un « voyou rouleur de mécaniques ». Métamorphose réussie : le chanteur marque la scène de sa présence. Son objectif : mettre la jeune et jolie Claire (Hendrickje Van Kerckhove) dans son lit. Il y parviendra, malgré le frère de Claire, Charles (Julien Behr, impressionnant dans son monologue « Adieu Moricaud » ). Passifs, les parents de Claire, Cécile (Marie- Ange Todorovitch) et Rodolfe, (Christophe Fel), traînent leur mélancolie sur le port. Au milieu de cette galerie désabusée, Abad (Augustin Dikongue) observe et agit, kalachnikov à la main. Le trio de femmes (Delunsch, Todorovitch et Van Kerckhove) offre un passage de haut vol, chargé en émotion : installées sur trois étages de la structure métalliques, elles chantent avec leurs tripes, emportent le public dans leur chant, mélancolique, dans leur vie déchirée et poignante.

Un ravissement

La musique de Campo est un ravissement. Un mélange d’influences musicales diverses, rock compris, avec une guitare électrique pour assurer certains récitatifs, des percussions et des synthétiseurs qui se glissent dans les pupitres orchestraux plus traditionnels... Un mélange des genres, une fusion heureuse du début à la fin de l’œuvre. Le chœur, en coulisses, chante une sorte de happy end, les derniers mots écrits par Koltès à ses proches : « In God we trust, do we ? » Du grand cinéma, sur grand écran, parfois couleurs, parfois noir et blanc, avec une réalisation fine et délicate.
« Je veux rester dans le souvenir de quelqu’un », chante Charles, sur une ligne orchestrale pleine d’émotion. Pour une première, cet opéra restera assurément dans les souvenirs des auditeurs. 

Anne Suply

http://www.lalsace.fr/actualite/2014/10/09/quai-ouest-au-bon-souvenir-de-bernard-marie-koltes 

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