“Quai Ouest” accède aux limbes du lyrique - lesinrocks.com - 29 septembre 2014


Actualité culturelle par Les Inrocks

“Quai Ouest” accède aux limbes du lyrique"

Pari réussi pour le compositeur Régis Campo, qui fait rentrer par la grande porte Bernard-Marie Koltès sur la scène de l’opéra.


Avec Quai Ouest, Bernard-Marie Koltès se lance en 1985 dans la chronique d’un outre monde. Celui d’un purgatoire que chacun rêve de quitter et qui, tel un aimant maléfique, piège tous ceux qui ont le malheur de s’y aventurer. C’est dans le cul-de-sac d’une friche industrielle située à New-York sur les rives de l’Hudson River que l’auteur déploie le récit épique d’une pièce chorale montée la même année (avec le succès que l’on sait) par Patrice Chéreau dans la démesure d’un ballet de containers multicolores.
Près de trente ans après, le compositeur Régis Campo ose remettre l’œuvre sur le métier pour en faire un opéra en 30 séquences sur un livret signé par Florence Doublet et Kristian Frédric qui assure aussi la mise en scène. Se revendiquant d’une forme de légèreté dans l’approche, Régis Campo se confronte à cette pièce devenue un mythe contemporain sans se départir d’un humour délicat qui a le premier mérite d’accompagner la dramaturgie sans jamais la plomber. Croisant les références, sa partition se joue autant de l’univers portuaire que de celui de l’urbanité de la ville toute proche pour transformer en chambre d’échos l’immense hangar où son complice Kristian Frédric cadre l’action. Une caisse de résonance qui, par instants, sait témoigner à la manière d’une boîte à musique désuète de la tendre nostalgie de l’enfance à jamais perdue, tout autant que du grandiose à l’heure où les âmes tourmentées s’en échappent sans qu’il soit indiqué qu’elles se dirigent vers le Paradis ou chutent aux enfers.
Pour notre bonheur, c’est la délicieuse Mireille Delunsch qui incarne Monique Pons, une secrétaire en panique qui se mord les doigts d’avoir suivi son boss suicidaire (Paul Gray) dans cette galère. Autre belle surprise, Régis Campo offre des moments d’exception à Julien Behr (Charles) et Hendrickje Van Kerckhove (Claire), pour faire de ce couple frère-sœur un des pivots de sa narration. Sans oublier la prestation de Marie-Ange Todorovitch (Cécile, leur mère), a qui incombe la belle tâche d’interpréter le monologue en indien où brillait la grande Maria Casarès.
Koltès est le roi de la digression, en résumant son propos en 1 heure et 30 minutes, Régis Campo donne parfois l’impression d’être un jeune homme un peu trop pressé d’abattre ses cartes maitresses. Alors, comme un slogan pour un biscuit chocolaté le clamait dans les années 80, on regrette qu’il n’ait pas osé faire plus long et plus fouillé… tant on a pris du plaisir à découvrir Koltès transfiguré pour le meilleur par ce passage par la case Lyrique. 

Patrick Sourd

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